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Réveil Communiste

Une réflexion critique de l'économiste Domenico Moro (PdCI) sur les dernières orientations électorales des communistes en Italie

5 Janvier 2013 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Communistes en Italie

lu sur Diablo et Jean Lévy

QUE FAIRE ?

Domenico Moro, membre du Comité fédéral du Parti des communistes italiens (PdCI) de Rome traduit par AC 

1 – Un usage correct de la théorie :

Au cours du dernier mois, un débat s'est ouvert parmi les communistes en Italie sur la politique d'alliances en perspective des prochaines élections législatives. La question est : doit-on rejoindre le centre-gauche, voire s'allier avec le PD, ou construire des alliances politiques alternatives en dehors du centre-gauche. En fait, la seconde politique représente une rupture avec une ligne qui fut défendue, non sans quelques variations, pendant ces deux dernières décennies par Refondation communisteet par le PdCI.

Pour étayer telle ou telle position, on fait référence à la théorie politique marxiste, dont les fondements ont été exprimés par Lénine et développés par une poignée de théoriciens, parmi lesquels Gramsci. Il va de soi que, comme pour tout classique, on court le risque de citer de façon inappropriée tel ou tel passage. Cependant, un usage inapproprié de Lénine est particulièrement difficile si nous le lisons un peu plus attentivement.

Par exemple, « Le gauchisme, maladie infantile du communisme » est parfois cité pour défendre la nécessité des compromis. A ce sujet, toutefois, la position de Lénine est pour le moins complexe :« L'homme politique doit savoir discerner les cas concrets où les compromis sont inadmissibles et diriger contre ces compromis concrets tout le tranchant de sa critique (…) Il y a compromis et compromis. Il faut savoir analyser la situation et les conditions concrètes de chaque compromis ou de chaque variété de compromis. »

 Dans un cas, dit Lénine, on a le compromis de la social-démocratie en 1914, qui a voté les crédits de guerre, dans l'autre, le traité de paix que les bolcheviques ont signé avec les allemands à Brest-Litovsk en 1918. Le premier fut une capitulation des socialistes allemands et français devant leur impérialisme, le second fut la manière que trouvèrent les communistes russes pour sauver le jeune et fragile État soviétique.

Nous aussi, quoi que cela soit de façon plus modeste, nous devrions partir de l' « analyse pondérée et rigoureusement objective de toutes les forces en présence » et « reconnaître ouvertement une erreur, en découvrir les causes, analyser les situations qui en sont à l'origine, étudier attentivement les moyens pour la corriger : voilà l'indice de sérieux d'un parti ».

Mon impression est que, dans le débat en cours, on tend à se concentrer sur les réponses immédiates, les alliances et la tactique électorale en général, sans avoir défini quelle stratégie générale nous devons adopter et sans avoir analyser la situation concrète et la nature des forces politiques en jeu.


2 – Analyse des gouvernements de centre-gauche :


Les communistes, qui sont de façon gramscienne « philosophes de la praxis », doivent toujours faire un bilan de leur expérience et comprendre, sur cette base, comment ils doivent modifier, et dans quelle direction, leur pratique.

Analysons alors notre histoire depuis vingt ans, basée sur l'alliance stratégique avec le centre-gauche, et qui comprend la participation à deux gouvernements dirigés par Prodi.

Quels éléments positifs retenir de notre participation aux deux gouvernements ?

Voyons cela.

Le premier gouvernement Prodi a augmenté la TVA de 19 à 20%, rabaissé les tranches de l'impôt sur le revenu et sa progressivité, portant la tranche maximale d'impôt sur le revenu pour les plus riches de 51 à 45%. Surtout, il a lancé le processus de privatisation du marché du travail italien avec la loi Treu (1997). Cette loi, selon l'OSCE, a eu un impact beaucoup plus important en termes de déréglementation du marché du travail que la loi Biagi, adoptée par le gouvernement Berlsuconi en 2003.

Les privatisations réalisées par le gouvernement Prodi ont été bien plus nombreuses que celles réalisées par le gouvernement Berlusconi, en commençant par la « mère » de toutes les privatisations, celle des Télécoms (1997). Passons à Prodi II. Dans ce gouvernement, le ministre de l’Économie Padoa-Schioppa (artisan de l'euro et membre du Conseil d'administration de la Fiat par la suite), s'était fait le paladin de l'augmentation des impôts et de la discipline budgétaire. En fait, ce sont les tranches d'impôt sur le revenu pour les revenus les plus bas qui ont été augmentés, tandis que les impôts sur les entreprises, l'IRES et l'IRAP, ont été rabaissés. Cela s'insérait dans la problématique, tant médiatisée, de la réduction du « coût du travail » qui s'est réalisée totalement dans les intérêts des entreprises. Sur le plan de la politique extérieure, l'Italie a augmenté le nombre de ses soldats et de son matériel de guerre présents en Afghanistan, où furent menées de véritables opérations militaires, en dépit des démentis réitérés du gouvernement.

Quel fut notre impact sur l'action de ce gouvernement ?

Quasi nul. Tous les points les plus importants de notre programme électoral, à commencer par l’abolition de la loi Biagi, furent sacrifiés pour sauver la coalition gouvernementale. Ceux qui ont voté contre la guerre en Afghanistan furent traités de traître vendu à l'ennemi (Berlusconi, pas les Talibans). Chaque fois que l'on a essayé de relever la tête, on nous demandait de nous taire avec le même chantage moral : « Vous voulez prendre la responsabilité de faire tomber le gouvernement et d'ouvrir la voie à Berlusconi ? ».

A partir du moment où les travailleurs italiens et en particulier nos électeurs analysaient les faits concrets, nous avons été punis (PRC, PdCI et Verts ), perdant 3 millions de voix et chutant de 12 à 3%.

Que cette débâcle soit due au refus – pas le nôtre, celui de Veltroni – de faire alliance, que cela ait été la conséquence du « vote utile » est démenti par de nombreuses enquêtes sur la volatilité des électeurs, qui démontrent que nos électeurs ont surtout fait le choix de s'abstenir. Une petite minorité s'est dirigée vers l'Italie des valeurs ou vers le PD.

Sur cette question, je conseille la lecture de mon article "Le vote de classe en Italie".

En fait, nous commençons à perdre des voix (en absolu et en pourcentage) à partir des municipales de 2007, c'est-à-dire pendant le gouvernement Prodi II et avant l'Arc-en-Ciel de 2008. Toutefois, le PRC et le PdCI ont ignoré tous les signaux de détresse de notre électorat et ont continué à se discréditer en participant au gouvernement, jusqu'à ce que Mastella[NdT : ancien ministre centriste de Prodi qui a quitté le centre-gauche pour rejoindre le camp de Berlusconi en 2008]lâche ses partenaires.

Toutefois, en politique, rien n'est figé, tout évolue.

Voyons, donc, si aujourd’hui, le PD est en mesure d'exprimer une rupture avec le passé.


3 – La contradiction est-elle entre les « experts » et la « politique » ?


On nous dit aujourd’hui que le choix serait entre les « experts » et la « politique ». Soutenir le PD et Bersani représenterait une façon de remettre sur le devant de la scène la politique. On oublie, toutefois, d'observer qu'en Italie un régime parlementaire est encore en vigueur, sur la base duquel le gouvernement Monti a du obtenir la confiance du Parlement. Et surtout on omet de faire remarquer qu'il existe une majorité politique et parlementaire qui a soutenu le gouvernement et en a voté les décrets.

Le PD qui, par la sens des responsabilités (envers qui?) a renoncé aux élections qu'elle aurait gagné haut la main, a été un pilier essentiel de cette majorité. On ne peut pas nier que le PD a voté toutes les mesures du gouvernement, les pires de ces dernières décennies : du recul de l'âge de départ à la retraite désormais au plus haut en Europe, à la réforme Fornero du marché du travail, l'abolition de l'article 18 (sur l'interdiction des licenciements arbitraires), l'augmentation des impôts régressifs comme l'IVA et la ré-introduction de l'IMU, l'impôt municipal sur la résidence principale.

Toujours à propos de la contradiction entre experts et politique, il faudrait faire remarquer, outre le fait que la réforme Fornero reprend certains propositions du PD (par exemple l'apprentissage qui diminue le salaire d'entrée sur le marché du travail), que la Loi de stabilité n'a été aucunement améliorée lors de son passage en Commission bilan, où un des rapporteurs était Baretta du PD, et à la Chambre des députés à Montecitorio.

Elle a même été renforcée, vu que au lieu du transfert de ressources qui aurait dû revenir aux plus pauvres par la réduction de l'impôt sur le revenu, on a eu une augmentation des ressources pour les entreprises, en actant, par un prétendu « salaire de compétitivité », la mort de la convention collective, la diminution des salaires et la subordination de l'organisation du travail aux exigences du profit.

En outre, lorsque fut proposée l'augmentation de 3% de la tranche de l'impôt sur le revenu pour les revenus au-delà de 150 000 euros, afin de trouver des ressources pour les pré-retraités, c'est Bersani qui a exprimé son opposition. Particulièrement agaçant par ailleurs l'amendement du PD en faveur du maintien des 223 millions d'euros pour les écoles privées, face aux coupes importantes dans l'école publique.

La question la plus importante, toutefois, c'est que le PD a approuvé la plus décisive de toutes les mesures : le pacte budgétaire et l'introduction dans la Constitution de l'équilibre budgétaire.

Et ce n'est pas pieds et poings liés, vu que le PDS, les DS puis le PD ont toujours adopté des positions dans la droite ligne du mainstreameuropéiste. Le même Fassina, représentant de la gauche « social-démocrate » du PD, a dit qu'il s'agit d'un fait positif car nous permet d'avoir « plus d'Europe ».

Nous avons vu ce que veut dire plus d'Europe : subordination des politiques sociales et du travail à la stabilité de l'euro et à l'équilibre budgétaire. Bersani peut bien dire à qui veut l'entendre qu'il désire « remettre le travail au centre » et que « le prochain gouvernement ne sera pas installé par les banquiers ». Ses mots n'ont guère de crédibilité face à la réalité des faits, c'est-à-dire des mesures qu'il a voté sur le travail et face à l'adoption d'un carcan budgéraire qui ne laisse aucune marge de manœuvre pour une politique vraiment social-démocrate.

Sans compter sur un petit détail, la propension du PD à nouer une alliance avec une force comme l'UDC, déjà expérimentée en Sicile, et la déclaration de Bersani, juste après les primaires : « Je continuerai à soutenir la politique de rigueur et de crédibilité que Monti a porté ».

La question est donc la suivante : si la formule du centre-gauche est un échec depuis des années, comment pourrions-nous penser qu'elle puisse aboutir à quelque chose aujourd’hui, avec le carcan rigide imposé par l'Europe, avec un gouvernement entêté à suivre un chemin déjà tracé, et avec des forces bien diminuées de notre côté depuis 2006 ?


4 – Peser et non pas faire acte de témoignage. D'accord, mais comment ?


Justement, on nous dit que les communistes doivent chercher à peser et ne pas se réduire à faire acte de témoignage. Peser ne signifie pas, toutefois, participer à des alliances où les rapports de force n'existent pas pour peser. Le risque de se réduire à un pur acte de témoignage, c'est justement répéter une ligne qui s'est révélée erronée, sans impact concret et qui nous éloigne des masses, érodant le peu de soutien qu'il nous reste.

On nous dit qu'on ne fait pas des alliances « in abstracto ». Comme je l'ai écrit il y a quelques mois, je suis d'accord : en politique il faut éviter les opinions pré-conçues.

Mais dans ce cas concret où est le programme de centre-gauche qui, par exemple, rétablisse l'article 18 ou l'âge de la retraite ?

 Ce qui est important, c'est que nous ne sommes plus dans la même phase historique. Nous sommes non seulement pris dans la pire crise du capital depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, qui durera probablement au moins une quinzaine d'années, mais aussi dans la plus grande réorganisation de la production et des rapports de travail. Par exemple, la précarité et le chômage, phénomène lié à l'abstention, ne sont plus un élément conjoncturel, mais des caractéristiques structurelles et jouant un rôle dans l'accumulation de capital.

La faillite du centre-gauche et de notre stratégie, pensée autour de lui, est due justement à l'incompréhension de ce qui se passait et de l'état d'esprit des masses. Les moyens de communication, fortement contrôlés par les grands groupes monopolistiques, ont eu beau jeu de détourner la colère populaire contre la « caste » des politiques, des partis, tandis que le problème se trouvait dans les rapports de production.

Nous ne devons pas tomber dans la même erreur, mais juste de façon inversée, pensant que la contradiction se trouve entre anti-politique et politique ou entre « technocratie » et « politique ». La politique in abstractone peut pas résoudre la situation, car la véritable contradiction se trouve entre une politique, quelle que soit la forme sous laquelle elle se manifeste, qui exprime les besoins du capital et une politique qui exprime les besoins du travail salarié.

Si la politique et les partis sont discrédités, ce n'est pas seulement à cause des coûts de la politique ou de la corruption, mais surtout parce qu'ils sont perçus comme incapable de freiner l'effondrement social. Et si on dit des partis qu'ils sont « tous pourris », c'est justement parce qu'on ne fait plus vraiment la différence entre politiques de centre-gauche et de centre-droit, toutes restant comprises dans le grand courant dominant.

Une alliance d'une partie de la Fédération de gauche avec le PD aurait des effets pernicieux pour la relance de la gauche en Italie et pour la reconstruction d'un parti communiste.

En premier lieu, parce qu'elle diviserait, au-delà de la Fédération, également les communistes, creusant une barrière entre eux, et ensuite parce que la reconstruction d'un parti communiste de masse passe par un travail visant à tisser de nouveau un rapport de confiance avec les secteurs de classe les plus avancés qui s'est rompu.

Surtout, cela passe par un mouvement de reconquête des abstentionnistes, vers où est partie une fraction importante de notre électorat. En définitive, la réaffirmation d'un projet politique passe par la reconstruction de rapport de forces, dans l'accumulation de forces.

C'est seulement si les communistes et la gauche ne se font pas aspirer par le centre-gauche que nous réussirons et pourrons essayer d'occuper un espace politique qui ne fera que s'agrandir. Un espace qui, la politique ayant horreur du vide, risque d'être définitivement occupé par une large gamme de forces politiques qui, bien que ce soit de façon très diverse, expriment des positions d'extrême-droite si ce n'est néo-fasciste.

Ce que nous avons dit n'est pas en contradiction avec le retour des communistes au Parlement, mais en est plutôt la condition nécessaire. Les conditions politiques existent, et le terrain social, pour réaliser un système d'alliances alternatives au PD, qui cherchent à dépasser le barrage électoral. Et surtout qui permettent de reconstruire un ancrage social en recul et qui garantissent l'autonomie politique nécessaire pour affronter, dans et hors du Parlement, une saison de luttes qui s'annonce longue, complexe et très dure.

 

Source : "Solidarité Internationale PCF"


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G
<br /> Il est étonnant que davantage de communistes français, italiens ou espagnols ne partagent pas cette analyse qui semble aller de soi : quand il n'y pas de rapports de force, il n'y a pas d'union<br /> "à gauche".<br /> <br /> <br /> Cela donne cette situation bizarre où le PS fulmine contre le PCF quand il fait un peu mine d'exister ... sans rien lui offrir en échange. Rien de politique en tout cas.<br />
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