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Réveil Communiste

Pascal Lamy défend la mondialisation, critique de JC Delaunay (4/5)

7 Octobre 2013 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Economie

suite (4/5) de l'article de JC delaunay, publié sur lepcf.fr

 

4 - Est-il possible, au plan économique, de réguler la mondialisation capitaliste, comme le pense Pascal Lamy ?

Il est clair que, si l’on envisage de sortir de la mondialisation capitaliste, c’est notamment pour la raison qu’on ne peut pas la réguler, ce que je vais examiner dans cette partie.

Jusqu’à présent, le fonctionnement de la mondialisation capitaliste s’est accompagné d’une absence à peu près totale de régulation économique mondiale. Cela pourrait-il évoluer ? Peut-on envisager la création d’un État mondial compensateur, au moins dans certains domaines de l’économie ?

Dans la phase antérieure du capitalisme monopoliste d’État, les économies des différentes nations étaient tant bien que mal stabilisées grâce à des institutions et à des décisions de politique économique nationales. L’ordre monétaire du monde (Accords de Bretton Woods) avait d’ailleurs été conçu pour ça.

Dans la phase actuelle, celle du capitalisme monopoliste financier mondialisé, où l’emporte au plan mondial la liberté absolue des capitaux (financiers, productifs et marchandises), il n’existe plus de régulation nationale équilibrée du rapport entre Capital et Travail et il n’existe pas davantage de régulation mondiale des crises engendrées par le Capital.

Après l’éclatement de la dernière crise, le gouvernement de la Chine a lancé (novembre 2008) un grand plan de dépenses (600 milliards $). C’était un acte volontaire, une décision totalement chinoise.

Ce plan n’a pas été suffisant pour résorber la crise mondiale. Il a quand même eu un effet stimulant des activités dans les pays développés, notamment les États-Unis. Sans doute avait-il été aussi lancé dans l’intérêt de l’économie chinoise. Les dirigeants chinois ne sont pas des philanthropes et n’ont pas les moyens de la philanthropie. C’est un vieux principe de la sagesse humaine que de donner pour recevoir. Do ut das. Mais comment se fait-il que ce principe de sagesse n’ait pas été traduit, au plan institutionnel mondial, par une sorte de volonté générale de régulation concertée ?

Pascal Lamy pense que la mondialisation devrait être maîtrisée (notion de « mondialisation maîtrisée » par lui proposée en 1999, avant qu’il ne devienne Commissaire européen au Commerce).

Il n’est pas le seul à faire ce genre de commentaire. M. Sarkozy s’est lancé dans cet exercice après la crise de 2007-2008. M. Borloo, par exemple, fait tout le temps des discours sur l’aisance avec laquelle il serait possible de « maîtriser » la mondialisation « si on le voulait ». M. Swab, fondateur et Président du Forum de Davos, s’exprimait récemment sur ce point. « Après la crise économique, nous devons repenser notre système mondial et nos processus de décision… La coopération et la gestion de la copropriété mondiale doivent être stratégiques plutôt que réactives, en priorisant les besoins mondiaux et en corrigeant les déséquilibres… Nous devons non seulement servir nos propres intérêts mais aussi ceux de tous ceux avec qui nous sommes interconnectés » (Chine informations, Liu Ying, 12 Septembre 2013). Et ainsi de suite. Oui, sur le papier, c’est facile. Mais en réalité ?

La thèse que je défends ici est que cette maîtrise n’est pas possible, structurellement, par la seule volonté des forces capitalistes mondialisées, et que, en tout cas, nous en sommes fort éloignés. Quels sont mes arguments ?

On peut commencer par rappeler certains débats qui eurent lieu, pendant la première guerre mondiale, au sein du mouvement « social-démocrate ». Ils portaient sur la capacité du système impérialiste à organiser entre ses membres des règles de paix. Comme on le sait, K. Kautsky produisit, peu de temps avant le déclenchement de cette guerre, la notion de super-impérialisme (Super-Imperialism, paru en septembre 1914 dans Die Neue Zeit, traduction anglaise). Le danger de guerre, selon lui, avait pour fondement « le nationalisme » mais non les pulsions et contradictions économiques internes du capitalisme impérialiste. Il estimait possible, rationnel, que les capitalistes puissent suivre le mot d’ordre que Marx lançait aux prolétaires du monde : « Capitalistes de tous les pays, unissez-vous ! ».

On peut donc inférer de sa position, bien que celle-ci ait été développée sur des bases théoriques étranges (la disproportion entre les secteurs industriels et agricoles et la décroissance du rendement économique à régler cet écart par la guerre), que, pour lui, le réglage mondial concerté des déséquilibres contemporains aurait été envisageable.

La position de Kautsky fut sévèrement critiquée par la plupart des théoriciens et dirigeants du mouvement social-démocrate de l’époque (L. Trotski, R. Luxemburg, N. Boukharine, V. Lénine). Lénine, par exemple, donnait en 1916 une définition indiquant l’agressivité de l’impérialisme. Et il écrivait, dans une brochure sur les États-Unis d’Europe, parue en 1915 : « En régime capitaliste, le développement égal… des différents États est impossible. Les seuls moyens possibles de rétablir de temps en temps l’équilibre compromis, ce sont… les crises dans l’industrie, les guerres en politique ».

Il ne fait donc pas de doute que, selon Lénine, au contraire de Kautsky, le système impérialiste contemporain ne serait pas capable de régler rationnellement et pacifiquement ses contradictions économiques, dans le cadre d’un État mondial, d’un super-impérialisme. Cela dit, on doit se demander si des faits nouveaux sont intervenus depuis la première guerre mondiale.

Le monde a changé depuis 1914-1918. Plusieurs faits pourraient aller dans le sens d’une régulation mondiale concertée. Je vais indiquer trois grands arguments favorables à cette thèse et exprimer mes doutes à leur propos.

Supposons que je dialogue avec un interlocuteur imaginaire. Il pourrait tout d’abord me dire que « … le "capitalisme classique" s’est affaibli. Il n’a plus aujourd’hui la même puissance qu’il y a un siècle. Des pays émergents contestent sa suprématie. Pourquoi ses dirigeants ne seraient-ils pas, de ce fait, enclins à se donner pacifiquement des règles de fonctionnement mondial, pour éviter que le système ne soit encore plus affaibli ? ».

Je suis d’accord que les dirigeants capitalistes ou assimilés du système capitaliste l’ont toujours défendu avec détermination, sachant faire, le moment venu, quand ils étaient en mauvaise posture (par exemple en Mai 1968), les concessions nécessaires pour assurer la survie du système. Mais depuis 1990, le système socialiste de type soviétique est « out ». En outre, les pays émergents sont, pour une partie d’entre eux, le Brésil par exemple, des pays capitalistes. Les entreprises géantes brésiliennes prennent la place d’entreprises géantes américaines dans certains domaines. Elles ne contestent pas le bien-fondé de la mondialisation capitaliste. Les vieux pays impérialistes n’ont, pour l’instant, en ce qui concerne la nature capitaliste des structures sociales de base, rien à craindre d’eux. Quant à la Chine, pays constitutionnellement communiste, elle a besoin du marché mondial actuel pour se développer.

Au total, ce premier argument (l’affaiblissement du système capitaliste) paraît insuffisant pour justifier la formation d’un État mondial compensateur. Les capitalistes issus des « vieux pays » n’ont rien à craindre pour l’instant. Le capitalisme est fondé sur la propriété et l’appropriation privées des capitaux. C’est un système décentralisé dans son essence. Pourquoi se donner la contrainte d’un « horrible » principe de centralisation et de contrôle s’il n’y a pas de danger à l’horizon ? Cet État mondial serait d’autant plus horrible qu’il devrait faire une place à la Chine, à la Russie.

Je poursuis le débat en imagination.

« Oui, mais depuis les dernières décennies, les capitaux des divers pays capitalistes se sont davantage interpénétrés. Un seuil a été franchi. Il tend à se former une classe capitaliste mondiale. Pourquoi cette classe mondiale n’accepterait-elle pas la formation d’un État mondial capitaliste pour faire face aux déséquilibres les plus graves, d’abord pour elle ? ».

L’existence ou non d’une classe capitaliste mondiale est un aspect de la discussion scientifique contemporaine. Je ne suis pas en mesure de trancher, seul, un tel débat pourrait nous aider, même si j’ai des doutes sur l’existence d’une telle classe. Cela dit, on observe que ces capitalistes de dimension mondiale, ainsi que leurs grands commis, comme Pascal Lamy, se déclarent à peu près tous « patriotes » (par exemple entretien de PL avec Francis Brochet, France-monde, 14/07/2013). Il y a bien une raison pour que des individus qui détruisent les nations, qui envoient leurs enfants dans les universités américaines, qui constituent une sorte de famille dirigeante des grands organismes internationaux et pour lesquels le monde est un village, se déclarent patriotes.

Celle-ci, à mon avis, est la suivante : des groupements capitalistes se forment autour des États existants, lesquels assurent leur défense dans l’arène mondiale et concentrent pour eux les capitaux nécessaires. Un État mondial ne pourrait assurer une défense aussi différenciée. Et puis, que voudrait dire « un État mondial » s’il est vrai, comme je l’ai défendu au point précédent, que l’hyper-concurrence entre entreprises géantes est le principe concret de fonctionnement de la mondialisation capitaliste ?

Ce que l’on observe, au plan mondial, ce sont donc, selon moi, des dirigeants de firmes géantes ainsi que les représentants des États. Or ces derniers sont dotés de puissances économiques, politiques, financières, scientifiques, militaires, culturelles, inégales.

L’État des États-Unis est certainement le plus puissant de tous et dans tous les domaines. Il émet la monnaie mondiale. Il dirige l’OTAN. Il est à la pointe des nouvelles technologies. Il draine les cerveaux du monde et son produit phare, Coca-Cola, est partout le symbole de la civilisation.

Avec la mondialisation capitaliste, c’est le modèle américain de la liberté totale des capitaux et des entreprises qui est affirmé. Pourquoi le Président de cet État, à l’occasion d’une réunion du G20, plaiderait-il, autrement que pour rire, le bien-fondé d’une organisation étatique mondiale qui réduirait nécessairement le pouvoir de l’État américain ainsi que le pouvoir de « ses capitalistes » ? Il revient aux capitalistes mondiaux ne figurant pas dans ce lot de s’organiser autour des autres États.

Que les États-Unis ainsi que leurs alliés naturels puissent se mettre en mouvement ensemble pour empêcher toute atteinte grave portée à la liberté absolue des capitaux dans le monde, est une éventualité que les communistes devraient considérer très sérieusement. Si les circonstances politiques le permettent, et si l’un des États capitalistes actuels change de couleur, ils n’hésiteront pas une seconde à intervenir pour préserver « la règle du jeu générale ».

Mais que ces États décident, dès aujourd’hui, de mettre en place un contrôle économique mondial de la gestion de l’ensemble des capitaux ou une monnaie mondiale gérée par le FMI, cela paraît « hors sujet ».

Mon interlocuteur imaginaire lève alors le doigt pour la troisième fois et demande : « Mais enfin, l’Union européenne ne pourrait-elle pas être un exemple pour le monde entier ? Avec l’Union européenne, il apparaît que, même si c’est difficile, il est possible de rassembler des capitalistes et des États dans une même construction. Trotski lui-même n’avait-il pas envisagé cette possibilité ? Pourquoi ce qui est peut-être en passe d’être atteint en Europe ne pourrait-il l’être au plan mondial ? ».

Je renvoie sur ce point à un article important de Pierre Le Gall, sur l’URSS et l’unification européenne, publié par la Revue Française de Sciences Politiques en 1967. Dans cet article, l’auteur rappelle que le refus initial de l’URSS de prêter attention aux débuts de l’Europe reposait sur l’analyse que Lénine avait faite en 1915 (cf. plus haut) sur l’inégalité de développement des États de référence capitaliste, interdisant selon lui qu’une concertation puisse avoir lieu entre eux. Mais à partir de 1962, avec les contributions et analyses de l’économiste A. Arzumanian puis de J. Varga, les positions du gouvernement soviétique changèrent du tout au tout. Le processus de la construction européenne fut pris au sérieux. Ce gouvernement rejoignait en quelque sorte les positions de Trotski, selon lequel les États d’Europe pourraient se réunir pour faire face à l’État américain. Cette hypothèse était par ailleurs cohérente avec sa théorie selon laquelle la révolution bolchévique en Europe ne pouvait être gagnée dans un seul pays.

Je pense que le gouvernement soviétique de l’époque a eu raison de faire évoluer sa position théorique sur l’Europe. S’il est vrai qu’existent, entre Etats impérialistes, d’importantes inégalités de développement, économiques et politiques, comme on l’observe aujourd’hui entre l’Allemagne et les autres pays proches, s’il est vrai par conséquent, que des forces centrifuges traversent leurs relations, elle peuvent également se rassembler et suivre les forces centripètes les conduisant à placer en commun leurs classes salariales sous une tutelle institutionnelle plus étroite.

Ce qui voudrait dire, au plan européen, que plus la contradiction entre Capital et Travail serait forte en ce lieu, et plus la construction institutionnelle de l’Europe serait stimulée, toutes choses égales par ailleurs en ce qui concerne la lutte des classes. L’analyse de Trotski, à ce propos, paraît tout à fait acceptable. Mais cela ne modifie pas ma conclusion relativement à la rationalité d’un État mondial.

Les capitalistes implantés en Europe sont certes partis eux aussi à la conquête du monde, comme leurs homologues américains. Mais ils se sont engagés dans l’organisation institutionnelle de l’Europe pour accroître leurs avantages comparatifs, relativement aux entreprises géantes américaines et non pour réaliser un modèle transposable au plan mondial.

La construction européenne, dont l’aboutissement effectif est toujours soumis aux aléas de la lutte des classes, n’est pas un modèle d’État super-impérialiste transposable au plan mondial. Elle est conçue comme une composante de l’affrontement concurrentiel mondial et non comme le modèle d’un État super-impérialiste compensateur.

La Chine souhaiterait sans doute que le monde fût une arène pacifiée et civilisée, où l’on puisse débattre et décider « en toute sérénité ». Mais ses gouvernants sont animés par la culture confucéenne de l’harmonie, qui est très différente de la culture américaine du rapport des forces et du conflit frontal.

Le comportement américain est plus conforme au fonctionnement de l’hyper-concurrence capitaliste qu’à la morale enseignée par Kong Zi. No pity no mercy, disent les adeptes de Locke et de Hume. En sorte que, au total, il me semble que le troisième argument que j’avançais ci-dessus (l’éventuelle exemplarité de l’Europe) n’est pas recevable.

Il est temps pour moi de ramasser dans une conclusion partielle les éléments de la discussion menée dans cet article.

 

A suivre ...

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