On connaît le mouvement luddite qui, dans l’Angleterre du début du 19ème siècle, se traduisit par la destruction de métiers à tisser. A cette époque, les machines-outils industrielles servaient d’ossature au mouvement d’expansion du capitalisme. Rétrospectivement, on a pu dire que les luddites étaient réactionnaires en cela qu’ils menaient un combat perdu d’avance. Marx porta sur eux le jugement suivant : « La machine est innocente des misères qu’elle entraîne… Il faut du temps et de l’expérience avant que les ouvriers, ayant appris à distinguer entre la machine et son emploi capitaliste, dirigent leurs attaques non contre le moyen matériel de production mais contre son mode social d’exploitation » (Le Capital, Livre 1).
Dans l’un de ses entretiens, Pascal Lamy (PL) fait allusion aux luddites pour qualifier diverses thèses contemporaines relatives à la mondialisation. « La thèse de la démondialisation… est une thèse réactionnaire. Ce qui compte n’est pas le passé mais l’avenir » (entretien sur Europe 1 avec J.-P. Elkabbach, 25 juin 2013). L’hostilité au processus actuel de mondialisation capitaliste, celle par exemple exprimée par Nicolas Dupont-Aignan, Arnaud Montebourg, Maurice Allais, Jean-Luc Gréau, ou bien encore par tous ceux que l’idéologie mondialiste nomme « les intégristes souverainistes », est par lui qualifiée de ringarde ou de réactionnaire. Ce serait, en quelque sorte, des néo-luddites.
Ces gens nourriraient « l’idée que l’on doit revenir au monde d’avant ». Or c’est impossible et ce serait vain, défend PL. En interprétant sa pensée je dirai que « la mondialisation » serait, selon lui, la vaste machinerie du monde moderne comme les métiers à tisser furent la machinerie du libre-échange. Il ne faudrait pas confondre « le métier à tisser » (en l’occurrence « la machine mondialisation ») et les rapports sociaux qui l’enveloppent. Vouloir briser la machine serait réactionnaire. Certes, on peut vouloir améliorer les rapports sociaux, mais on ne pourrait pas changer la machine.
Nombreux sont ceux ayant déjà critiqué les thèses de PL. Je pense cependant que son argumentation est perverse. Il faut donc s’y opposer sans relâche et dans le détail, avec encore plus d’obstination que celle qu’il met à la défendre. Cette thèse appartient à l’idéologie courante. Elle constitue l’essentiel de la pensée socialiste actuelle et elle imprègne, malheureusement, certaines franges de la pensée communiste. Pourtant, je ne vois aucune raison de m’y soumettre et les imprécations de PL relatives à la nature réactionnaire de toute pensée opposée à la mondialisation contemporaine ne m’impressionnent pas [1]. Je ne confonds pas, comme lui, domination du Capital et capacité du Capital à découvrir les chemins de la modernité.
Je souhaite donc, dans cet article, commencer à discuter la thèse défendue par PL. Pour cela, je développe ici mon argumentation à travers 4 points, dont voici les titres :
1 - La mondialisation n’est pas un phénomène technique.
2 - En décrivant la mondialisation capitaliste comme un phénomène technique, et notamment comme une simple « mondialisation », quelle conséquence théorique pour PL ?
3 - Les acteurs et les lois économiques de la mondialisation capitaliste.
4 - Est-il possible, au plan économique, de réguler et maîtriser la mondialisation capitaliste ?
Après les conclusions tirées de l’examen de ces 4 points, je chercherai, dans un autre article, à progresser dans l’examen des propos de Pascal Lamy. Les problèmes en cause dépassent largement sa personne. Ce sont, de plus, des problèmes difficiles. On doit donc prendre le temps qu’il faut pour chercher à les comprendre.