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Réveil Communiste

Histoire et cinéma: Cinema Komunisto. Il était une fois la Yougoslavie

16 Janvier 2014 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Front historique, #Europe de l'Est, #Art et culture révolutionnaires


by histoireetsociete


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Leka Konstantinovic, projectionniste personnel de Josip Broz Tito durant 32 ans témoigne, il s'installe à la droite de la statue de Tito puis il change de côté en expliquant qu'un soldat doit se positionner à la gauche de son supérieur. L'homme est tout en notation subtile sur celui dont il accompagna la passion pour la mise en scène d'un pays aujourd'hui disparu.

Hier à l'Institut de l'Image d'Aix-en-Provence, un documentaire sur un sujet qui me passionne à savoir la relation entre le cinéma et l'histoire, ici l'ex-Yougoslavie, son cinéma et son acteur metteur en scène, cinéphile Tito. La jeune réalisatrice Mila Turajlic, une serbe était venu présenter son film "Il était une fois en Yougoslavie Cinema Komunisto", disons le tout de suite ce film est éblouissant de virtuosité. En outre si, comme le dit, Sartre chaque génération a la clé d'une époque et celle-ci se perd avec elle, cette jeune femme a eu l'art à travers les images d'éviter toute interprétation dans l'air du temps pour nous faire revivre les émotions d'une époque, celle où comme le dit Yul Brynner dans le film, le cinéma yougoslave avait l'art de nous faire sentir l'émotion des masses et il ajoute Cecile B de Mille également. Parce que effectivement la mise en scène s'apparente plus à Hollywood qu'à Eisenstein. Le grandiose mais aussi l'intime avec ce personnage touchant et énigmatique, Leka Konstantinovic, projectionniste personnel de Josip Broz Tito durant 32 ans, vient témoigner de l'appétit de ce cinéphage, de ceux qui l'entourent, des chefs d'Etat et grand personnages qui passent sans le voir alors que Fidel Castro vient lui serrer la main après avoir réclamé une nouvelle séance privée d'un film de partisan.

Quand la Yougoslavie explosa, Mila Turajlic n'avait que 10 ans, elle nous a raconté au cours du débat qu'elle était née dans une famille serbe très pro-yougoslave mais très anti-communiste. Pourtant ce film est apparu à bien des critiques comme un film à la gloire de Tito. Un jeune homme dans la salle est intervenu dans le débat pour dire son étonnement: "le Communisme, Tito pour lui c'était de la dictature ce film lui montrait une autre réalité". Avec lui son professeur d'histoire expliquait que pour bien des habitants de ce pays, aujourd'hui le niveau de vie avait baissé de 25% alors effectivement comme en Russie et dans d'autres pays de l'Est, il existe une nostalgie pour le bon vieux temps, celui où tout était gratuit, celui où on était bercé de la grandeur de son pays. Il n'en est pas tout à fait de même de la part de la jeune réalisatrice qui était une enfant quand elle a vu s'effondrer son pays natal et qui en présentant son film dans les ex-pays non alignés, d'Alger à la Havane s'est aperçu que tout le monde ou presque ignorait la Serbie, la Croatie mais au nom de la Yougoslavie s'écriait Tito!

Tout a commencé pour elle quand le nouveau pouvoir nationaliste décida de brader les studios Aleva à Belgrade, cette étudiante en cinéma a alors voulu témoigner de ce passé et effectivement elle nous explique que depuis bien des choses vues à l'écran, comme ces stocks de vieux costumes de superproductions, avaient été jetées à la poubelle. Un certain cinéma est mort, avec un pays mais aussi le numérique. Que reste-t-il aujourd'hui de la Yougoslavie? de cette naissance d'une nation, cette épopée qui rencontra le cinéma hollywoodien après une période entièrement dévolue au film de partisans que nous narre avec humour et un charme qui résiste aux années son acteur fétiche: Velimir Bata Zivojinovic qui a joué dans plus de 300 films et qui raconte qu'il a dans ses films tué bien plus d'allemands que Patton lui-même. Cette rencontre avec le cinéma hollywoodien est le symbole d'une ouverture à l'ouest après la rupture avec l'Union soviétique, le citoyen yougoslave peut voyager mais c'est aussi le moment où se perpétue l'illusion. Des films. Des centaines de films et toujours Tito en train de les voir toutes les nuits, d'annoter les scénarios aux côtés de son épouse, une opulente orientale qui avait été avec lui dans les combats de partisans et qui toute sa vie portait dans son sac un revolver pour abattre celui qui oserait toucher à son mari, à celui qui était le père de la Yougoslavie de 1943 à sa mort, en 1980. La jeune femme nous dira que si au départ elle le voyait comme un dictateur aujourd'hui elle l'admire comme un grand homme d'Etat. Elle a su faire le travail dont je rêvais à propos du nazisme en assemblant, dans un montage extraordinairement maîtrisé et novateur, des extraits, des archives inédites et des entretiens avec les anciens protagonistes du « kino » des Balkans, elle a décrit l'édification d'un mythe politique en 35 mm.

Le projectionniste personnel de Tito qui se considère comme l'épouse de Tito comme un soldat chargé de protéger son héros, l'âme de la Yougoslavie raconte qu'il a vu ­environ huit mille films en trente ans, et qui a noté chaque soir fidèlement les films vus avec qui et d'autres remarques, explique que le maréchal voulait son industrie du film. Refusant pendant tout un temps d'être trop représenté, il finit par accepter d'être le héros d'une superproduction avec Richard Burton dans son rôle et son île privée devient le lieu de rendez-vous de toutes les stars les plus progressistes d'Hollywood, Yul Brynner, le couple Burton, Sophia Loren et Carlo Ponti, Orson Wells, Kirk Douglas. Les studios Avala sont crées au lendemain de la deuxième guerre mondiale dans le contexte d'un héroïsme bricolé où chacun cherche à prouver qu'il est digne de ces partisans qui ont été les seuls en Europe à tenir tête à Hitler. Puis avec la rupture avec Staline montrée ici avec talent, il existe en Yougoslavie des gens qui refusent cette rupture et qui ne savent pas quel portrait décrocher, comme il existera un cinéma "contestataire", underground mais toujours de gauche qui dénonce les compromissions du socialisme avec le capitalisme. Les studios Avala deviennent le coeur d'un système qui fera de la propagande sous le regard averti du très cinéphile Tito : les films à la gloire des Partisans (les résistants titistes de 39-45) resteront la base du savoir faire puisque jamais ne manqueront les moyens pour jeter dans la représentations des armées de jeunes recrues qui se faufilent pour ne pas jouer les allemands, les camions , les tanks, les ponts que l'on ne craindra pas de détruire. Mais avec le cinéma holywoodien, les superproductions sur les aventures de Marco Polo on retrouve la même veine autour de l'histoire de Tito lui-même (La Cinquième Offensive, avec Richard Burton dans l'uniforme du maréchal ; La Bataille de la Neretva, avec Yul Brynner et Orson Welles), nous sommes dans le mythes mais déjà derrière le décor, celui du festival de Pula dans lequel, la marine vient meubler les gradins avec son enthousiasme s'accumulent les tensions qui vont après la mort du maréchal déboucher sur le sanglante division.

Il y a de la mélancolie, une nostalgie qui imprègne tous ceux qui ont vécu ce temps et pas seulement en Yougoslavie. j'ai eu le privilège de voir ce film aux côtés de deux amies serbes, l'une vit en France, l'autre sa sœur à Belgrade. Ce sont des communistes, celle qui vit en France ne cesse de se souvenir de sa jeunesse, de son admiration pour les partisans, des fêtes du premier mai, de l'interdiction de célébrer le nouvel an orthodoxe (nous étions hier justement le lendemain de cette fête que nous avons célébré ici avec un repas serbe), la joie, l'enthousiasme, la solidarité, le drame de l'éclatement qu'elle partage avec des amies croates installées ici et qui demeurent comme des petites sentinelles de la Yougoslavie communiste. A ses côté sa sœur qui a vécu en restant dans le pays, la corruption, la guerre, la crise des valeurs était repliée sur elle-même, elle souffrait, proche de l'explosion. Je vais lui donner des cours de français, en sortant elle m'a attrapée et m'a dit avec difficulté, je vais t'expliquer qui était la femme de Tito, je l'ai connue, je vais te raconter son histoire.

La jeune réalisatrice Mila Turajlic nous a expliqué à quel point l'épouse de Tito faisait partie de cette douloureuse histoire, elle est morte il y a trois mois, après avoir été maltraitée par le pouvoir nationaliste qui ne lui pas accordée les moyens de vivre l'a laissée recluse dans une maison qui n'avait même pas de chauffage. Elle a été retrouvé il y a trois ans dans son dénuement et son abandon. On voulait lui présenter le film, mais on a demandé à la réalisatrice de couper une remarque, celle devant le catafalque de Tito une voix off dit "Il nous a beaucoup menti, mais nous l'avons beaucoup aimé". Elle a refusé parce qu'elle n'admettait pas le principe de la coupure surtout une coupure qui attaquait le cœur même du propos: le cinéma dit-elle dès le début est un mensonge et après le générique très long, on voit une nouvelle scène très brechtienne où un acteur grimé en partisan invite le spectateur à voir une histoire dans laquelle ils vont être heureux et bien s'amuser.

La rencontre ratée avec le cinéma soviétique et le passage à l'épopée à la Cecil B.de Mille est aussi une réflexion sur la manière dont un peuple se raconte sa propre histoire, le cinéma américain ne cesse de nous raconter et c'est ce qui le rend passionnant la société américaine, il nous vend le mode de vie américain mais aussi le récit toujours renouvelé des origines et là la rencontre avec Tito le cinéphile, le cinéma de propagande, le mythe mais aussi la mystification d'une nation crée cette approche si intelligente, sensible, non démonstrative du film.

Danielle Bleitrach

 

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<br /> pour ceux qui veulent lire ma critique du même film :<br /> <br /> <br /> <br /> Critique politique de "Cinéma<br /> Komunisto"<br /> <br /> <br /> <br />  <br />
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